Gilles Frémont – Président ANGC
Quelles sont les principales évolutions à venir dans votre marché ?
Le marché est très actif. Les grands groupes continuent de racheter beaucoup de cabinets, à raison d’un cabinet par semaine. Mais les petits indépendants ne disparaissent pas pour autant. De jeunes Gestionnaires, souvent issus d’un grand groupe ou d’une PME rachetée, décident de se mettre à leur compte, en partant de zéro. Ils progressent très vite. Le marché est reparti à hauteur de 60% pour les indépendants et 40% pour les groupes. Les syndics non professionnels représentent toujours une part très marginale.
Quant aux syndics en ligne apparus dans les années 2015, ou les syndics dit nouvelles générations apparus dans les années 2018 et qui ont axé leur discours commercial sur la tech… ça n’a pas pris. La dimension humaine de notre métier est trop prégnante. Les copropriétaires veulent un Gestionnaire en chair et en os, un interlocuteur disponible et réactif, à qui ils peuvent confier tout de suite leurs problèmes du quotidien, les fuites, leur badge vigik égaré, les petits conflits de voisinage. Ils ont besoin d’être rassurés par un interlocuteur fiable qui connaît leur immeuble.
La tech c’est bien, mais c’est accessoire, on lui a donné une importance disproportionnée ces dernières années. Les esprits se sont enflammés. Maintenant la bulle commence a dégonflé. Ces nouveaux acteurs qui se prétendaient neo-syndics et qui ont tout misé sur la com, le full digital et le dénigrement des acteurs traditionnels, ont déchanté. Après 5 ans de spéculation irrationnelle de la startup nation, on revient aujourd’hui à la rentabilité économique et à la viabilité de l’entreprise. On voit le mot humain revenir dans les bouches. Retour à la vraie vie.
Quelle est votre vision à long terme de l’habitat/copropriété durable ? Ici en l’occurrence du métier de gestionnaire ?
Les Gestionnaires de copropriété vont devoir se former davantage au pilotage des grands projets de rénovation : volet financier, volet technique, volet juridique, volet social.
Le syndic est un chef d’orchestre, pour les gros travaux, il manage une équipe composée d’un AMO (Assistance à Maitrise d’Ouvrage) privé, d’un AMO social, d’un maître d’oeuvre, des entreprises, des sous-traitants. Le syndic est un chef de projet, il a une vision d’ensemble. Le syndic fait de l’ingénierie de projet, il doit maîtriser toutes les étapes d’une opération : l’impulsion, la conception, la réalisation. Il a un rôle politique, pédagogique, il doit fédérer toutes les parties autour d’un projet au long cours. C’est très endurant, il faut être calme, patient, consensuel et directif en même temps. Un projet de rénovation globale dure environ 5 ans entre la première et la dernière étape. Et le parcours est semé d’embûches, mais c’est épanouissant. Une fois que les travaux sont terminés, et que tout le monde part, le syndic lui, reste.
La formation des Gestionnaires sur tous ces thèmes est donc primordiale. Voilà un des enjeux clés de notre métier demain, outre sa rémunération à sa juste valeur, la revalorisation des honoraires, la clé de voûte qui tient tout le reste. Les syndics devront également apprendre à mieux communiquer sur leur travail pour gagner en notoriété : le savoir-faire et le faire-savoir.
Le numérique fait-il évoluer le fonctionnement de votre entreprise ? Et les services que vous développez pour vos copropriétés ?
Le mot numérique est galvaudé. Tout comme le mot digital. Ce sont des mots valises. De quoi parle-t-on exactement ?
Si l’on parle de dématérialisation, la GED (gestion électronique des documents) a effectivement améliorer le confort de notre travail, et l’accès à l’information, que ce soit pour les Gestionnaires ou pour les copropriétaires. Tous les documents à portée de clics, c’est un vrai plus. Les syndics s’étaient mis d’eux-mêmes à la dématérialisation depuis plus de 10 ans, bien avant l’extranet obligatoire.
Si l’on parle d’application mobile, les nouvelles interfaces permettent incontestablement de moderniser l’image du syndic, et de fluidifier la communication syndic/copropriétaires. Ça ne coûte pas grand chose aujourd’hui de se doter d’une application intuitive et collaborative, tout comme il ne coutait pas grand chose de se doter d’un site internet à l’époque. C’est l’air du temps. Certains syndics sont friands de nouvelles technologies, d’autres moins, chacun est libre de travailler comme il veut.
Fondamentalement, le métier de syndic repose d’abord sur le contact physique, le terrain, la relation humaine. Les copropriétaires et les syndics préfèrent d’ailleurs très majoritairement l’AG physique à la visio. Un entretien téléphonique vaut 100 fois mieux que des échanges de mails impersonnels et interminables.
Le numérique est un bon outil de travail parmi d’autres. Il ne doit pas faire oublier l’essentiel : la compétence professionnelle.
Les relations syndic/copropriétaires ont-elles évolué ?
On a vu un tournant il y a une douzaine d’années avec l’arrivée des mails sur smartphone. On est alors rentré dans l’ère de l’instantanéité. Les demandes spontanées, intempestives. Cela a généré de l’impatience et une certaine agressivité.
On ne fait plus l’effort de réfléchir ou aller chercher l’information par soi-même, on demande à l’autre, on lui envoie un mail et on veut une réponse complète et immédiate. Les Gestionnaires, comme dans beaucoup d’autres métiers de service, croulent sous les mails, c’est un fléau. Ce média, qui a presque 20 ans d’existence dans l’usage grand public, n’est toujours pas maîtrisé. Les formations à la gestion du flux de mails sont inexistantes. Chacun est livré à soi-même, avec ses petites astuces maison et ses angoisses. L’enquête métier ANGC de 2022 révèle que le flux de mails représente une charge mentale permanente pour 88% des Gestionnaires. C’est énorme. Permanente, cela veut dire, soir, week-end et vacances. Il faut absolument arrêter cette folie. Cela passe par un bon usage de l’outil mail, un usage modéré et intelligent, se souvenir qu’à la base l’outil sert à envoyer des documents ou une information rapide, pas à tchater toute la journée.
Il y a également aujourd’hui plus de confusion entre le commun et le privatif. Les parties communes et les parties privatives, l’intérêt collectif et l’intérêt individuel. Sans doute est-ce liée à cette tendance vers la notion « satisfaction client », alors que le copropriétaire n’est pas vraiment un client vis-à-vis du syndic, il est membre du syndicat des copropriétaires lui-même représenté par son mandataire, le syndic. La nuance est subtile mais elle a toute son importance. Le syndic défend l’intérêt collectif du syndicat des copropriétaires, souvent opposé aux intérêts individuels. En ce sens la notion de client est dangereuse, car elle créer la confusion sur le rôle du syndic et ce qu’on attend de lui. Cette confusion des genres génère des incompréhensions et des tensions.
La seule solution est de rappeler constamment les fondamentaux, chacun à sa place : le syndic gère, le conseil syndical assiste et contrôle sa gestion, et les copropriétaires prennent les décisions importantes en assemblée générale. Les copropriétaires ne seront finalement satisfaits que si le syndic est pleinement dans sa mission : l’administration de la copropriété, le bon entretien de l’immeuble, et la défense de l’intérêt collectif. Au fond les « avis clients » et les notes Google pour un syndic importent peu, ce qui compte c’est le renouvellement de notre mandat chaque année en assemblée générale à l’unanimité des copropriétaires. Voilà notre seul indicateur de satisfaction. Les copropriétés restent en moyenne 19 ans avec leur syndic. Il n’est pas rare de voir des immeubles rester plus de 50 ans avec le même syndic. Il y a une vraie relation de confiance. Le contrat de syndic est juridiquement un contrat intuitu personae. Le bouche-à-oreille reste de loin la première source de développement organique d’un cabinet. Il permet de construire sa croissance, avec patience et qualité.